***

Le phénomène de reconnaître le fait d’avoir eu une telle ou telle expérience dans un récit de quelqu’un d’autre, d’ou vient-il ? Pourquoi, en lisant Proust, je me trouve m’écriant parfois : « Ah oui ! Je peux m’identifier avec ceci ! », pourquoi, quand un ami me raconte sa peine, j’exclame : « Oh mon Dieu, combien je te comprends ! » ? Quels sont ses pièces de l’expérience, ces morceaux de subjectivité auxquels je fais référence ? Comment fais-je pour reconnaître dans un discours d’une autre personne (que je crois consciente) les expériences que j’ai déjà eues, par lesquelles ma propre conscience (dont la réalité pour moi est indiscutable) est déjà passé, en s’exposant à leur goût immanquable et le stockant dans ma mémoire ? Et, plus important encore, qu’est-ce que je reconnais ?

Je crois que le phénomène de cette familiarité soudaine et frappante, la capacité de l’âme de s’identifier immédiatement avec les expériences qu’elle a déjà vécues, les déceler avec précision incroyable dans des récits parfois flous et provenant de différentes époques, comme on décèle parfois une chemise de son garde-robe sur une autre personne dans une foule de l’heure de pointe au métro, comme on décèle un anneau aux diamants dans les motifs du tapis qu’on a cherché désespérément pendant une heure, — cette capacité innée de l’âme pointe à l’existence de quelque chose de vaste voire infini — quelque chose à quoi nous avons d’une manière quelconque tous accès, immédiat, constant et total. Une sorte de garde-robe universel, où tout le monde peut emprunter une chemise ou un pair de jeans et les combiner à sa guise, tout en se sentant incroyablement stylé jusqu’au moment où, dans un train truffé du matin sur son chemin de travail, on rencontre une autre personne portant la même pièce de vêtement, et pour un bref instant — jusqu’à ce que cette personé ne sorte du wagon et ne se perde dans la foule, ressentir une piqûre, aigre et très reconnaissable, dont le caractère on ne peut expliquer avec des mots plus précisément qu’en s’écriant : « Ah, j’ai la même ! ».

Leave a comment